Aurore Fattier met en scène « Elizabeth II » de Thomas Bernhard au Varia du 10 au 14 novembre.
AVEC Jean-Pierre Baudson, Delphine Bibet, Véronique Dumont, Michel Jurowicz, Denis Lavant, François Sikivie, Alexandre Trocki | CRÉATION LUMIÈRE Simon Siegman | SCÉNOGRAPHIE Valérie Jung | CRÉATION SON Brice Cannavo | ASSISTANAT SON Jean-Maël Guyot de la Pommeraye | COSTUMES Prunelle Rulens dit Rosier | CRÉATION VIDÉO Vincent Pinckaers | MAQUILLAGES, MASQUES Zaza da Fonseca | DIRECTION TECHNIQUE Fred Op de Beek | CONSTRUCTION DU DÉCOR Les ateliers du Théâtre National | DRAMATURGIE, COLLABORATION ARTISTIQUE Sébastien Monfè | ASSISTANAT À LA MISE EN SCÈNE Ledicia Garcia, Lara Ceulemans | MISE EN SCÈNE Aurore Fattier
TRADUCTION Claude Porcell chez L’Arche Editeur.
EN AUTRICHE, UN JOUR DE DÉFILÉ DE LA REINE D’ANGLETERRE
Aurore Fattier aime les grands textes de théâtre : Racine, Feydeau, Pinter… qu’elle électrise avec l’acuité de son regard de jeune femme de son temps. Cette pièce drôle et cruelle de Thomas Bernhard est pour elle une machine à jouer, comme elle dirait une machine à tuer. Elle y voit une décapitation en règle, et par les mots, d’un monde hypocrite, intéressé et réactionnaire dont le théâtre est loin d’être à l’abri, et qui se tapit sous le masque de la tradition et de la bienséance. Entre rejet et besoin des autres, entre peurs et audaces, c’est une sorte d’hommage qu’elle rend ainsi à notre « bouffonnerie métaphysique », à notre faiblesse et à notre morosité en même temps qu’à notre disposition à rire et à notre irrépressible pulsion de vie, envers et malgré tout.
Herrenstein, un richissime marchand d’armes à la retraite, attend l’arrivée de tout le gratin viennois qui vient assister depuis le balcon de son splendide appartement au défilé de la Reine d’Angleterre Elisabeth II.
Le vieil homme voit « cette smala perverse » se goinfrer au buffet et rôder avec avidité autour de sa carcasse pour obtenir une part d’héritage. Mais si la méchanceté conserve… celui qui enterrera Herrenstein n’est pas encore né !
Même infirme, même vieux, le puissant industriel est d’une insolence verbale éblouissante. Il entretient sa vitalité en cultivant une haine méthodique envers cette « racaille » autrichienne. Toute la journée, il abreuve de ses diatribes inspirées les oreilles de Richard, son majordome, avec lequel il entretient depuis vingt-cinq ans une relation quasi masochiste. Agrippé à sa veste, le vieil industriel va subir cette journée de cauchemar jusqu’à ce que celle-ci prenne fin au moyen d’un incroyable coup de théâtre…
Écrite en 1987, Elisabeth II est l’avant-dernière pièce de Thomas Bernhard. Son sous-titre “Pas une comédie” est peut-être ironique, car elle est sans conteste l’une des pièces les plus drôles et les plus cruelles qu’il ait écrites. Elle contient déjà les germes du scandale qu’il déclenchera avec sa dernière pièce, La Place des Héros, qu’il écrit l’année suivante et dans laquelle on entend qu’« il y a aujourd’hui plus de nazis à Vienne qu’en 1938 ». Dans Elisabeth II, les personnages viennent assister à un événement “people”, situation propice pour que Thomas Bernhard injecte ses thèmes de prédilection. Mais il est bien plus qu’un auteur à scandales. Il est aussi un auteur au souffle inépuisable. Son écriture dense, blessée et féroce semble marteler jusqu’au ressassement, jusqu’à l’épuisement ce besoin de dire la réalité en même temps que l’impossibilité d’y parvenir vraiment, comme s’il cherchait à se faire entendre plutôt que d’expliquer.
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